3- Composer avec la réalité

En ayant pour sujet photographique l’environnement urbain et les éléments qui le constituent, je donne à percevoir au spectateur, une vison fragmentée de la ville contemporaine. La vision que je donne de cet environnement, est froide, matérielle, marquée par l’absence visuelle du corps humain. A travers ma pratique de la marche, je débusque le banal, ces éléments à l’abandon livrés au temps et à l’espace. Je m’approprie ces fragments du réel, qui témoignent d’une activité humaine tant créatrice que destructrice vis-à-vis de ce qui l’entoure. Au-delà d’un simple travail de prélèvement épars de l’environnement réel lors de mon parcours, l’acte photographique m’offre une totale liberté de composition et d’interprétation de ce que je perçois. Autant par le choix d’un sujet que le cadrage, je m’attache à privilégier un rapport de lignes, de formes et de couleurs. Cette relation que je veux harmonieuse entre les divers composants de l’image est entièrement subjective. Comme expliqué plus haut, j’éprouve une grande fascination pour la ville contemporaine prise entre tradition et modernité. Ce qui m’attire, c’est le contraste avec la chaleur, la vie, le naturel auxquels renvoie le vivant et cette rigueur froide, presque inhumaine, de la ville moderne contrôlée sous tout rapport. A travers la dérive, je témoigne de ces moments de flottement, d’abandon où la sévérité de l’environnement moderne s’incline face au temps qui passe l’amenant peu à peu vers la déchéance et face aux Hommes pour qui une telle rigueur est impossible. En somme, ces clichés nous montrent un paysage pris en flagrants délits contre l’aseptisation du monde moderne.

Par définition, la photographie vise à capter le réel en donnant l’impression d’objectivité. Or cette position n’est-elle pas trop ambiguë?

En effet, qu’est-ce qui caractérise le mieux un photographe, si ce n’est sa propre subjectivité? C’est elle qui motive son choix de tel élément par rapport à tel autre, dans l’immensité de l’environnement. Bien qu’absent de l’image, le corps du photographe y a toute son importance. C’est cette expérience sensorielle et émotive entre l’espace et le corps qui motive une image, un choix. A la différence des photographes appartenant au style documentaire dans les années trente, qui comme moi adoptent un point de vue frontal dans leurs images, je ne revendique aucunement détenir une vérité universelle quant à la réalité vécue. Ce que je réalise à travers mes photographies, c’est une réorganisation formelle de l’espace vécu. D’un côté, je donne la part belle aux formes, aux couleurs de l’environnement urbain actuel, et de l’autre, je mets en exergue ce qui témoigne d’une activité humaine résiduelle. En somme, j’organise là où il n’y a plus d’ordre. Il est intéressant de faire un parallèle avec le travail de W. Evans qui à la fin de sa vie, prône une esthétique de la ruine, de l’abandon, du rejet, résultant d’un monde en mutation constante et où tout n’est qu’éphémère. Un univers où seul le photographe jouit de l’illusoire sensation de maîtriser le temps, de pouvoir capter une réalité vécue, qui n’est plus la seconde d’après.

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